De la persistance des dragons

septembre 19, 2007 at 8:18 (contes et légendes, histoire)

ou : pourquoi trouve-t’on un crocodile empaillé sur les murs du château du Chat Botté ?

Question lancinante qui hante tous ses admirateurs.

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Il est communément admis que le Château D’Oiron et la réussite de la famille GOUFFIER a inspiré Charles PERRAULT pour sa création du fantasmagorique marquis de Carabas, particulièrement Claude GOUFFIER richissime Grand Ecuyer du Roi . On peut voir en lui aussi bien le Marquis de Carabas que le Chat Botté ou même Barbe Bleue ! Le Marquis de Carabas rappelons le pour mémoire était un grand seigneur, un géant et un magicien. Il régnait sur sa contrée en maître incontesté. Il chute cependant, victime de son orgueil, et transformé par ses propres soins en souris se fait avaler par le Chat Botté, petit malin de la fable, chat doué de la parole et portant épée, chapeau à panache et bottes, afin d’assurer situation et richesses à son benêt de maître.

 

Mais, mais … quel est le rapport avec le crocodile et le chat botté ?
Ou le rapport entre le Chat Botté, les dragons et les annales pictes ?

Oiron, situé sur les chemins de Compostelle, possède une église dotée par la famille GOUFFIER où on trouve accroché à un des murs un crocodile empaillé, officiellement comme symbole lié à l’enfer. Mais le crocodile d’Oiron n’était pas si saugrenu ni isolé. Il semblerait qu’on ait trouvé peu partout des crocodiles empaillés au mur des églises du Moyen Age, souvent ramenés des croisades ces «cocodrilles», devenant «cocadrilles» et «coquatrix», ou «cocatrics» ont rarement survécu à la « tornade blanche » du 19ème siècle qui a dévasté tant de monuments

 

Il existe cependant encore quelques exemplaires comme celui de la Cathédrale de Séville. Accroché au-dessus de la porte du lézard (« el lagarto »), il aurait été offert en cadeau en 1260 par le Sultan d’Egypte qui souhaitait épouser une des filles du Roi Alphonse X. Ce portail dessert le Patio de los Naranjos, dernier vestige la mosquée, où les musulmans pratiquaient leurs ablutions avant d’y entrer. La fontaine qui s’y trouve date sinon des Wisigoths du moins d’anciennes sources thermales romaines.

 

Autre crocodile empaillé célèbre, celui qui orne un des piliers de la Cathédrale Saint-Bertrand-de-Comminges. Bertrand né au milieu du 11ème siècle à l’Isle Jourdain en Gascogne dans le crocodile de St Bertrand de Commingesune famille illustre apparentée aux comtes de Toulouse et aux rois capétiens. Quittant le métier des armes il entre dans les ordres et est nommé évêque du Comminges en 1073. C’est là qu’il va vaincre son dragon : « Il était caché, dit-on, dans un vallon des Pyrénées, et par ses vagissements attirait les curieux imprudents. Plusieurs fois on avait essayé de le détruire, mais il avait dévoré ses assaillants. Saint-Bertrand, touché du malheur de son peuple, s’avança vers lui sans autre arme que son bâton. Il touche l’animal, pose sur sa tête le bout de son étole, et le dragon le suit comme un agneau jusque sur la place de la Cathédrale, où il expire ».

 

Mais ce n’est pas la peine de descendre jusqu’aux Pyrénées pour retrouver la trace du dragon – crocodile. Il suffit de se tourner vers La Couronne (Charente). Ce village en périphérie d’Angoulême, s’appelait à l’origine Paludibus « les Marais », il prend le nom de Corona lors de la construction du monastère en 1124 (corona beate Maria). Son premier abbé, Lambert, dans ses jeunes années était plus ardent aux arts de la chasse qu’à ses devoirs religieux ce qui lui donna les moyens de réussir à trouver le gîte du dragon qui dévastait la région et à le tuer en le décapitant de son épée (Chronique latine de l’Abbaye de la Couronne – 1100-1789 par J-F Eusèbe CASTAIGNE, bibliothécaire de la ville d’Angoulême)

La dépouille du monstre fut empaillée et offerte à l’évêque d’Angoulême. On pouvait encore l’admirer jusqu’en 1780 accroché au mur de la première travée de droite de l’église cathédrale de Saint-Pierre d’Angoulême. Lors de l’installation des nouvelles orgues, la peau de celui qu’on reconnaît alors comme un crocodile est donnée au conservateur du Musée qui l’incorpore à son cabinet d’histoire naturelle. On perd sa trace quand cet ensemble est transféré au lycée et que vers 1868 il est jeté , sûrement dans un mouvement d’enthousiasme estudiantin, par dessus le rempart de la ville. Ces péripéties sont rappelées dans le compte rendu de la séance du 7 février 1899 de la société archéologique et historique de la Charente où on note également : « que dans certains pays les anciens avaient l’habitude de pendre aux murs des églises des animaux empaillés. Ces faits […] semblent indiquer une coutume dont il serait intéressant de connaître l’origine. […] cf. le Bâton pastoral, étude archéologique, par l’Abbé Barrault et Arthur Martin : « durant tout le moyen âge, il était d’usage dans bon nombre d’églises de porter en procession des dragons suspendus en haut d’un pique avant ou derrière la Croix, comme pour ajouter au triomphe de celle-ci en montrant le vaincu à côté du vainqueur ».[…] les crocodiles empaillés suspendus dans les églises étaient peut être destinés à cet usage ».

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